Dans un précédent article, j’ai déjà eu l’occasion de vous parler du pain. Le pain comme gourmandise. Le pain comme prétexte à des découvertes et expériences intuitives, et le pain comme symbole personnel du parc du Puy-du-Fou…
Aujourd’hui, l’histoire est tout autre.
Tranche de pain, tranche de vie
Le pain a joué un rôle en apparence mineur, mais pour le moins sublime pour moi, à certains moments de mon existence.
Adorant le pain cuit à l’ancienne, à la mie souple & aérée, à la croûte brune et croustillante, j’observe tout spécifiquement les présentoirs des boulangeries où j’entre pour la première fois. Mon œil est constamment attiré par les pains à la croûte épaisse, légèrement noircie, et à la mie bis. Ces pains d’autrefois, parfois vendus au kilo. J’en ai testé plusieurs et la présentation était souvent plus prometteuse que la véritable texture ou le goût. Toutefois, j’ai eu quelques belles surprises.
Oser
Ce pain me fait de l’œil. Il m’observe. Joue avec mon regard. Il crie « mange moi ! ». Ce pain fait 3 kg, il est vendu au poids. C’est l’heure du goûter, mon estomac crie famine. L’eau me monte à la bouche… Mais si le pain est une de mes gourmandises préférées, il est de loin surpassé par le « pain-beurre »…
Alors, c’est décidé, j’ose ! « Madame, pourrais-je avoir une simple tranche de pain, avec du beurre ? ». Regard interloqué. Hésitation. Sourire. « Mais bien sûr ! »… on passe à la caisse. Quelques centimes, ce n’est rien, et en même temps c’est tout !
Cela représente l’amabilité d’une boulangère face à une demande quelque peu saugrenue.
Cela symbolise l’ouverture à l’autre, au différent, à l’inhabituel…
C’est une marque de gentillesse. C’est un sourire adressé avec le cœur.
Déguster
Cette tranche de pain, je prends le temps de la déguster. J’en hume l’odeur. J’en goûte les saveurs. Je m’en pourlèche les babines et j’en rêve encore après coup.
Cette première expérience est le début d’une longue série. C’est pour moi un défi à relever : celui d’oser demander quelque chose de différent, un service qui oblige à quelque effort pour celui qui y répond, qui teste le ‘vrai’ et qui révèle la chaleur humaine qui existe dans notre société.
Je veille toutefois à ne pas solliciter les mêmes personnes. C’est quelque chose qui doit demeurer « exceptionnel ». C’est en cela que réside une partie de son charme. C’est un voyage sensoriel et humain que je m’autorise de temps en temps suivant les circonstances. Une sorte de récompense dans ma journée. Une parenthèse dans le rythme quotidien. Un moyen de découvrir un nouveau pain, une nouvelle boulangerie, une nouvelle région.
Avis aux amateurs !
J’en profite pour vous faire partager le poème suivant de Francis PONGE (Le parti pris des choses,1942) :
Le pain
La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, – sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.